Hydrogène vs électrique : la nouvelle bataille technologique qui divise les constructeurs automobiles #
Deux technologies pour un même objectif environnemental #
Les véhicules électriques à batterie (BEV) et les véhicules électriques à pile à combustible hydrogène (FCEV) partagent une ambition commune : éliminer les émissions de CO2 à l’échappement. Mais leurs approches diffèrent fondamentalement.
Le principe de la voiture électrique à batterie
La voiture électrique stocke l’énergie dans une batterie lithium-ion :
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- Recharge directe par branchement sur le réseau électrique
- Propulsion via un ou plusieurs moteurs électriques
- Stockage d’énergie limité par la capacité de la batterie
- Rendement énergétique global élevé (du réseau à la roue) : 70-80%
« La simplicité est le principal atout de la voiture électrique à batterie, » explique Marc Duchesne, directeur de la stratégie électrique chez Renault. « L’énergie électrique est stockée puis utilisée directement, avec un minimum de conversions et donc un excellent rendement. »
Le fonctionnement d’un véhicule à hydrogène
Le véhicule à hydrogène utilise une pile à combustible pour produire de l’électricité à bord :
- L’hydrogène est stocké dans des réservoirs haute pression (700 bars)
- La pile à combustible combine hydrogène et oxygène pour produire de l’électricité
- Cette électricité alimente un moteur électrique similaire à celui d’un BEV
- Le seul « déchet » émis est de la vapeur d’eau
- Rendement énergétique global plus faible : 25-35%
« L’hydrogène offre une densité énergétique exceptionnelle et un temps de ravitaillement comparable aux carburants fossiles, » souligne Naoki Yamamoto, directeur technique chez Toyota Motor Corporation. « C’est une solution parfaitement adaptée aux longs trajets et aux véhicules lourds. »
Les forces en présence : qui mise sur quoi ? #
Le paysage industriel se polarise progressivement autour de ces deux technologies.
Le camp du « tout batterie »
Plusieurs constructeurs majeurs ont clairement choisi la voie de l’électrique à batterie :
Tesla reste le leader emblématique, avec une gamme entièrement électrique et un réseau de Superchargeurs mondialement déployé. « Nous sommes convaincus que les batteries représentent la voie la plus efficiente vers une mobilité durable, » maintient Elon Musk, PDG de Tesla.
Volkswagen Group a investi plus de 70 milliards d’euros dans sa transition électrique, avec sa plateforme MEB et désormais SSP. Le groupe allemand vise 80% de ventes électriques en Europe d’ici 2030.
Stellantis accélère également avec sa nouvelle plateforme STLA, qui équipe désormais les modèles de ses 14 marques, de Fiat à Maserati.
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BYD et les constructeurs chinois ont massivement investi dans les technologies de batteries et dominent aujourd’hui la production mondiale de cellules et de véhicules électriques.
Les défenseurs de l’hydrogène
Face à cette vague électrique, certains acteurs maintiennent un cap différent :
Toyota reste le plus fervent défenseur de l’hydrogène, avec sa troisième génération de Mirai et son nouveau SUV Crown FCEV. « Nous ne voyons pas l’hydrogène et la batterie comme des technologies concurrentes mais complémentaires, adaptées à différents usages, » déclare Akio Toyoda, président de Toyota.
Hyundai poursuit également le développement de sa gamme NEXO, tout en investissant dans les deux technologies.
BMW a récemment surpris en annonçant une version hydrogène de son SUV iX5, produite en petite série et testée dans plusieurs marchés européens.
Des acteurs émergents comme la startup française Hopium ou le groupe chinois Great Wall Motor développent également des prototypes prometteurs.
Forces et faiblesses : un match technologique serré #
Chaque technologie présente des avantages et des inconvénients qui expliquent ces positionnements stratégiques différents.
Les atouts de la voiture électrique à batterie
Un écosystème mature : Avec plus de 15 millions de véhicules en circulation mondiale et plus de 400 modèles disponibles, l’électrique à batterie bénéficie d’un écosystème développé.
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Une infrastructure en forte croissance : L’Europe comptait fin 2024 plus de 500 000 bornes de recharge publiques, et l’objectif de 3 millions d’ici 2030 semble réaliste.
Des économies d’échelle : La production massive de batteries a permis une baisse spectaculaire des coûts : -85% en 10 ans selon BloombergNEF.
Une efficience énergétique supérieure : Le rendement global de la chaîne énergétique est 2 à 3 fois supérieur à celui de l’hydrogène.
Les faiblesses persistantes du BEV
Le temps de recharge : Malgré les progrès, une recharge de 10% à 80% prend encore 20 à 40 minutes dans les meilleures conditions.
La dépendance aux matériaux critiques : Lithium, cobalt, nickel et terres rares soulèvent des questions géopolitiques et environnementales. La concentration des gisements dans quelques pays (Chili, RDC, Chine) crée de nouvelles dépendances.
Le poids des batteries : Malgré les progrès, une batterie offrant 500 km d’autonomie pèse encore entre 400 et 600 kg, ce qui affecte l’efficience globale du véhicule.
Le défi du recyclage : Bien que techniquement possible, le recyclage des batteries à grande échelle reste un défi industriel et économique.
Les atouts de l’hydrogène qui séduisent ses défenseurs
Ravitaillement ultrarapide : 3 à 5 minutes suffisent pour faire le plein d’hydrogène, un argument majeur pour les flottes professionnelles et les longs trajets.
Autonomie comparable aux véhicules thermiques : Les derniers modèles comme la Toyota Mirai affichent plus de 650 km d’autonomie réelle.
Poids réduit : Un système hydrogène est significativement plus léger qu’une batterie équivalente en autonomie, un avantage crucial pour les véhicules lourds.
Indépendance vis-à-vis des matériaux critiques : Les piles à combustible utilisent principalement du platine (en quantité décroissante) et ne nécessitent pas les grandes quantités de lithium ou de cobalt des batteries.
Les obstacles majeurs au déploiement de l’hydrogène
Infrastructure quasi inexistante : L’Europe ne compte qu’environ 250 stations hydrogène, principalement en Allemagne et en France.
Coût de production élevé : L’hydrogène vert (produit par électrolyse de l’eau avec des énergies renouvelables) reste 2 à 3 fois plus cher que l’hydrogène gris (issu du gaz naturel).
Rendement énergétique défavorable : Le processus complet (production, compression, transport, conversion en électricité) induit des pertes importantes d’énergie.
Prix des véhicules : Une Toyota Mirai coûte encore près de 70 000 euros, bien que les prix devraient baisser avec l’industrialisation.
Les avancées technologiques qui pourraient tout changer #
La bataille technologique est loin d’être figée, avec des innovations majeures dans les deux camps.
Pour les batteries électriques : la révolution solide se confirme
Les batteries à électrolyte solide, longtemps promises, deviennent réalité :
- Densité énergétique doublée : jusqu’à 500 Wh/kg contre 250 Wh/kg pour les meilleures batteries actuelles
- Recharge ultra-rapide : 80% de la capacité en 10 minutes
- Durée de vie prolongée : jusqu’à 5000 cycles de charge
- Sécurité renforcée : risque d’incendie quasiment éliminé
« Les batteries à électrolyte solide représentent un saut technologique comparable au passage du film argentique au numérique, » affirme Marie Pelletier, directrice de la recherche chez BlueSolutions.
Toyota et Volkswagen prévoient leurs premiers modèles équipés pour 2026, et BMW pour 2027.
Pour l’hydrogène : des piles plus efficientes et moins coûteuses
Les piles à combustible connaissent également des progrès décisifs :
- Réduction drastique du platine : -80% en 5 ans, remplacé partiellement par des catalyseurs à base de fer
- Durabilité accrue : les nouvelles membranes permettent une durée de vie de plus de 8000 heures (équivalent à environ 300 000 km)
- Densité de puissance améliorée : +40% permettant de réduire la taille des systèmes
- Production industrialisée : Toyota et Hyundai ont multiplié leurs capacités de production par 10 en 3 ans
« Le coût des piles à combustible a été divisé par 4 en dix ans et continue de baisser rapidement avec l’industrialisation, » note Alexandre Chen, analyste chez Hydrogen Council.
L’hydrogène trouve sa place dans des segments spécifiques #
Si la bataille semble actuellement pencher en faveur de l’électrique à batterie pour les véhicules particuliers, l’hydrogène s’impose progressivement dans des niches stratégiques.
Les poids lourds : terrain d’élection pour l’hydrogène
Le transport routier longue distance devient un marché clé :
- Volvo Trucks et Daimler Truck ont lancé leurs premiers modèles commerciaux en 2024
- Hyundai déploie sa flotte XCIENT Fuel Cell en Suisse et en Allemagne
- Nikola Motors a surmonté ses difficultés initiales et livre désormais ses camions aux États-Unis
« Pour un poids lourd de 40 tonnes effectuant 800 km quotidiens, l’hydrogène offre un avantage décisif en termes de temps de ravitaillement et de charge utile, » explique Henrik Henriksson, CEO de H2Green Steel et ancien patron de Scania.
Transports en commun : une adoption croissante
Les bus à hydrogène gagnent du terrain :
- Plus de 1500 bus à pile à combustible circulent désormais en Europe
- La France a lancé un plan ambitieux de 1000 bus supplémentaires d’ici 2027
- La Chine domine la production mondiale avec plus de 8000 unités en circulation
Utilitaires et flottes captives : le compromis idéal
Les véhicules utilitaires constituent un autre segment prometteur :
- Stellantis a lancé des versions hydrogène de ses utilitaires Peugeot, Citroën et Opel
- Renault propose son Kangoo avec une technologie hybride batterie-hydrogène
- La Poste et autres opérateurs logistiques adoptent progressivement ces solutions
Des stratégies industrielles aux implications géopolitiques #
Au-delà de la simple concurrence technologique, ce duel reflète des visions industrielles et géopolitiques divergentes.
L’Europe : entre enthousiasme électrique et prudence stratégique
L’Europe a clairement misé sur l’électrique à batterie, avec sa réglementation stricte sur les émissions de CO2. Mais face à la domination asiatique dans la production de batteries, une stratégie parallèle se dessine :
- L’UE a lancé l’Alliance européenne pour l’hydrogène propre avec un objectif de 40 GW d’électrolyseurs d’ici 2030
- La France investit 9 milliards d’euros dans sa stratégie hydrogène nationale
- L’Allemagne mise 10 milliards d’euros sur cette technologie, notamment pour ses industries lourdes
« L’hydrogène représente pour l’Europe une opportunité de souveraineté technologique que les batteries ne peuvent plus offrir, » analyse Thomas Schmidt, chercheur à l’Institut Jacques Delors.
L’Asie : domination sur les deux technologies
Le Japon et la Corée du Sud maintiennent leur avance dans l’hydrogène, tandis que la Chine domine la production de batteries :
- La Chine contrôle plus de 75% de la production mondiale de batteries, mais investit également massivement dans l’hydrogène
- Le Japon a fait de la « société de l’hydrogène » une priorité nationale
- La Corée du Sud développe un écosystème complet autour de l’hydrogène, de la production aux applications
Les États-Unis : le pragmatisme et l’innovation ouverte
Avec l’Inflation Reduction Act, les États-Unis subventionnent massivement les deux technologies :
- 370 milliards de dollars pour les technologies propres, dont des incitations généreuses pour l’hydrogène vert
- Une approche de neutralité technologique qui laisse le marché décider
- Des innovations de rupture comme les startups spécialisées dans l’hydrogène solide ou les batteries au sodium
Vers une coexistence technologique plutôt qu’un vainqueur unique #
L’opposition frontale entre ces technologies pourrait finalement céder la place à une complémentarité stratégique.
Des synergies industrielles émergentes
Des collaborations inattendues se développent :
- BMW et Toyota partagent leurs technologies (batteries solides et hydrogène)
- Hyundai et Stellantis investissent conjointement dans des technologies de piles à combustible
- Plusieurs constructeurs explorent des systèmes hybrides combinant batterie et petit système hydrogène
Une segmentation par usage qui se dessine
Un consensus émerge sur une répartition des technologies selon les usages :
- Véhicules urbains et péri-urbains : domination probable des batteries
- Transport longue distance : avantage à l’hydrogène pour les poids lourds
- Véhicules utilitaires intensifs : solutions hydrogène ou hybrides
- Véhicules particuliers premium et SUV : concurrence ouverte entre les deux technologies
« Nous assistons à une spécialisation progressive plutôt qu’à une guerre technologique, » constate Jean-Michel Billig, directeur de l’ingénierie chez Renault. « Les constructeurs qui maîtriseront les deux technologies seront les mieux positionnés pour l’avenir. »
L’infrastructure : le nerf de la guerre #
Le développement des infrastructures reste déterminant pour l’adoption massive de ces technologies.
Recharge électrique : un déploiement accéléré mais des défis persistants
Le réseau de recharge électrique s’étend rapidement :
- Plus de 500 000 points de recharge publics en Europe
- Des hubs de recharge ultrarapide (350 kW) tous les 60 km sur les grands axes
- Des problèmes de fiabilité et de congestion aux périodes de pointe
« Le réseau électrique constitue désormais le principal goulot d’étranglement pour l’électrification massive du parc automobile, » alerte Caroline Foucher, directrice des réseaux chez Enedis.
Hydrogène : un réseau embryonnaire mais des investissements massifs
L’infrastructure hydrogène commence tout juste à se déployer :
- 250 stations publiques en Europe, principalement en Allemagne et en France
- Des « corridors hydrogène » en développement sur les grands axes logistiques
- Des investissements publics et privés de plus de 30 milliards d’euros annoncés d’ici 2030
TotalEnergies, Shell et les acteurs spécialisés comme H2 Mobility développent activement ces réseaux, souvent en commençant par les flottes captives.
Le facteur environnemental : un débat qui s’affine #
L’impact environnemental global de ces technologies fait l’objet d’analyses de plus en plus précises.
L’empreinte carbone sur le cycle de vie complet
Les analyses de cycle de vie récentes montrent des résultats nuancés :
- Les véhicules électriques à batterie restent globalement plus efficients en émissions de CO2 sur leur cycle de vie
- L’hydrogène vert (produit à partir d’énergies renouvelables) peut atteindre une empreinte comparable
- L’origine de l’électricité et de l’hydrogène reste le facteur déterminant
- La durée de vie et le recyclage des composants deviennent des enjeux cruciaux
« La question n’est plus simplement ‘quelle technologie est la plus verte’ mais ‘comment rendre chaque technologie la plus durable possible sur l’ensemble de son cycle de vie’, » résume Martin Keller, expert en analyses environnementales chez Fraunhofer Institute.
La bataille entre hydrogène et électrique à batterie, loin d’être tranchée, entre dans une nouvelle phase plus nuancée. Si l’électrique à batterie semble avoir pris l’avantage pour les véhicules particuliers à court terme, l’hydrogène trouve progressivement sa place dans des segments stratégiques et pourrait connaître une renaissance à plus grande échelle avec les avancées technologiques. Cette compétition technologique stimule l’innovation et accélère finalement la transition vers une mobilité décarbonée, quel que soit le vainqueur final… s’il doit y en avoir un.
Les points :
- Hydrogène vs électrique : la nouvelle bataille technologique qui divise les constructeurs automobiles
- Deux technologies pour un même objectif environnemental
- Les forces en présence : qui mise sur quoi ?
- Forces et faiblesses : un match technologique serré
- Les avancées technologiques qui pourraient tout changer
- L’hydrogène trouve sa place dans des segments spécifiques
- Des stratégies industrielles aux implications géopolitiques
- Vers une coexistence technologique plutôt qu’un vainqueur unique
- L’infrastructure : le nerf de la guerre
- Le facteur environnemental : un débat qui s’affine